Les aires d’envol de Sipra ressemblaient à d’immenses étendues industrielles, où le métal côtoyait le vent, la liberté flirtait avec la mort, la vie se risquait à chaque instant.
Charlie Tetenlaire travaillait sur le site depuis toujours. Son père, bien qu’à la tête de machines moins performantes à ses débuts, fit beaucoup pour la plateforme et travailla dur à la mise en place de ce monument siprasien de technologie plus ou moins hasardeuse. Le petit Charlie donna la main à son géniteur avec passion dès son plus jeune âge. Ce fut tout naturellement qu’il reprit les rennes, avec l’accord d’un Lord Stanton peu enclin à s’intéresser à ce lieu singulier. Aussi ce dernier n’intervenait que très rarement dans l’activité aérienne, excepté lors d’un besoin ponctuel et spécifique auquel Tetenlaire s’appliquait à répondre aussitôt, afin que rien ne vienne entraver la bonne marche de cette usine du ciel.
Une équipe l’épaulait constamment, construisant, réparant, vissant et clouant des appareils de pointe aussi bien que des coucous étranges qui ne furent parfois pas capables de prendre les airs. Elle s’affairait également lors des décollages et atterrissages officiels, qui nécessitaient une attention toute particulière afin d’éviter tout incident fâcheux.
Sur autorisation, certains pouvaient venir sur le site afin de faire quelques essais, voire entreprendre la construction d’un oiseau mécanique. Les démarches restaient fastidieuses et longues, mais savaient récompenser les génies patients et inventeurs motivés.
Charlie demeurait un homme occupé, qui avait réussi à se soustraire des aléas de la vie de la cité par le biais d’un travail qui le passionnait et le poussait sans cesse à aspirer toucher les nuages. La nappe grisâtre qui recouvrait Sipra restait son paysage quotidien et il ne rencontrait que très rarement des visiteurs si ce n’était les agents de Stanton qui venaient vérifier les certificats et permis en règle. Il aurait sûrement fait office de gendre idéal pour une mère issue de la bourgeoisie de la ville et souhaitant marier sa protégée, mais il n’avait hélas ! jamais, encore croisé, celle qui pourrait lui faire oublier pendant quelques rares moments, les écrous et mécanismes à vapeur.
Ce jour-là, Charlie Tetenlaire œuvrait sur une aile bien particulière. Une commande en bonne et due forme, effectuée par un anonyme qui avait vraisemblablement quelques aspirations secrètes et les moyens d’y parvenir. Comme à son habitude, il n’avait posé aucune question indiscrète et il travaillait sur les plans qu’on lui avait fourni, avec minutie et professionalisme.